Pour célébrer à la fois le 80e anniversaire du D-Day et les 125 ans de la naissance de Duke Ellington, Jazz sous les pommiers propose, avec le Jazz At Lincoln Center de New-York dirigé par Wynton Marsalis, la création d’une formation réunissant une quinzaine de jeunes américains et français : le « Future of Jazz Big Band ».
Pour la première partie de la soirée, seuls les new yorkais investissent la scène. Les musiciens visitent ici le vaste répertoire du grand compositeur, se déployant sur plusieurs décennies. Les titres sont à plusieurs occasions introduits au piano par Joe Block, qui par ailleurs dirige l’orchestre. Pour Black Beauty, il commence dans un climat très classique qui se colore progressivement d’harmonies jazz, amenant subtilement la mélodie, sur un swing lent et chargé de groove. Suit Self Portrait of the Bean, une ballade où le son velouté du saxophone ténor fait merveille, jouant de nuances délicates de souffle et de vibrato. Le ton monte alors avec Tell Me ‘Bout My Baby, dont l’introduction impressionnante du batteur Domo Branch, tout en roulements et variations de puissance, a enthousiasmé les spectateurs.
L’orchestre fait plusieurs clins d’œil à la France au cours de la soirée, avec tout d’abord La vie en rose pour lequel le pianiste a composé une très belle introduction, laissant deviner la mélodie par petites touches entremêlées sans la citer ouvertement, et Mademoiselle de Paris, un swing rapide que Duke Ellington avait joué dans un album paru en 1962, Midnight in Paris, où il rendait hommage à la capitale française au travers de reprises et de compositions personnelles.
Les musiciens français rejoignent ensuite leurs collègues américains sur Rockin’ in Rythm, enchainé avec Braggin’ in Brass, qui permet de développer toute la palette sonore de l’orchestre, riche de de nuances et de couleurs variées. My Heart Sings est un superbe thème dont la mélodie s’étire, par notes successives, dans une très lente montée, avant de redescendre tout aussi progressivement, habillée de magnifiques harmonies qui procurent une indicible émotion. À noter : cette composition a été reprise bien plus tard par Danilo Perez et Cassandra Wilson, avec un très bel arrangement de Claus Ogerman. Duke Ellington a écrit de nombreuses Suites, particulièrement dans la deuxième moitié de sa carrière. Le titre suivant, The Sleeping Lady And The Giant Who Watches Over Her, fait précisément partie de la Latin American Suite de 1968. Cette longue et riche composition à la splendide orchestration fait référence à deux montagnes du Mexique : la Dame endormie est l’Iztaccíhuatl et le Géant est le Popocatépetl. Là encore, l’orchestre met en valeur toutes les nuances, les teintes et subtilités de l’écriture ellingtonienne. Place ensuite à l’incontournable It Don’t Mean a Thing (If It Ain’t Got That Swing), une des premières utilisations du mot swing dans la musique populaire, un grand classique joué ici comme il se doit avec un entrain communicatif. L’orchestre se trouve réduit pour le titre suivant, Mood Indigo, à un trio clarinette, trompette et trombone, accompagné par une batterie cette fois très discrète et dépouillée, dans une ambiance évoquant les grandes heures du Cotton Club. Nouvel extrait enfin d’une autre suite, plus ancienne, la Liberian Suite de 1948, avec I Like the Sunrise, un titre d’espoir et d’optimiste pour clore le concert avec éclat, avec en rappel Jeep’s Blues, joué « au fond du temps ».
Un bel hommage à la tradition par une nouvelle génération de musiciens, en souhaitant que cette formation puisse perdurer au-delà de l’événement et nous revenir peut-être à l’occasion d’une prochaine édition.
Texte et photos : Stéphane Barthod