Comme d’autres musiciens, notamment Nguyên Lê, André Manoukian n’a pas été bercé dès le plus jeune âge par la musique de ses racines, et c’est sur le tard qu’il s’y replonge, nous offrant à cette occasion un Orient rêvé riche de saveurs et d’émotions.
C’est pour un documentaire réalisé il y a une quinzaine d’années, Arménie, l’autre visage d’une diaspora, qu’il s’est penché sur la musique de ses racines arméniennes. Il rend ici un hommage sensible et émouvant à sa grand-mère Anouch, déportée lors du génocide arménien de 1915. Au fil de ce retour sur ses origines, il a découvert de nouvelles gammes, de nouveaux sons, de nouveaux rythmes. Après Anaid qui ouvre en trio le concert, le pianiste prend le temps d’expliquer au public les différences entre musique occidentale et orientale, passant
en revue gammes, modes et rythmes… Il en profite pour rappeler l’origine du titre Blue Rondo a laTurk de Dave Brubeck, qui fait référence au rythme en neuf temps de la composition, typique de danses turques ou grecques. Il enchaine avec Electrik Derviche et Schubert in Duende, valse légère pour laquelle le joueur de duduk Rostom Khachikian rejoint le groupe, et qui donne l’occasion à Guillaume Latil de nous offrir un magistral solo de violoncelle, entre Orient et Occident, inspiré et subtil. Assurément l’un des moments forts de ce concert. Pour les titres suivants, André Manoukian invite les chanteuses du trio Balkanes qui reprennent pour commencer Dilmano Dilbero, a cappella, avant d’être rejointes par les autres musiciens. Il s’offre ensuite une parenthèse en solo, avec Anouch, le titre de son dernier album, où il évoque avec beaucoup d’émotion sa grand-mère, puis The Walk, au long duquel il s’amuse à citer Mozart, et même Aznavour. Il invite alors la chanteuse grecque Dafné Kritharas pour une valse lente et intense, Binyoli.
La soirée s’écoule comme un cours d’eau aux mille variations, entre moments calmes et passages plus mouvementés, avec notamment Rondo Arménien qui atteint ici en concert une grande intensité dramatique.
Pour le rappel, le pianiste se propose de terminer sur une note triste avec Dele Yaman, signifiant “Cœur brisé”, un titre tiré de son album bien nommé Melanchology. Il achève finalement le concert sur un ton plus enlevé en reprenant Soufi Dance, qui ouvre son dernier opus, et le fait chanter par le public de la salle Marcel Hélie qui en tire, à son grand étonnement, un canon à deux voix…
Texte et photos : Stéphane Barthod